Le sucre : Un composé loin d’être aussi anodin qu’on voudrait le croire

Ses effets sur le corps, son poids économique au niveau mondial
Par J.-M. Fichel
Publié le 12 mars 2025

Table des matières

Introduction
Types de sucre
Effets du sucre sur le corps humain
Effet psychologique du sucre
La science de l’aliment optimal du point de vue de l’agro-industrie
Le poids économique du sucre au niveau mondial
Des statistiques alarmantes
La récupération après le sevrage du sucre
Références

Aujourd’hui, le sucre est l’un des ingrédients ajoutés les plus répandus en ce qui concerne l’alimentation humaine. Il est pour ainsi dire omniprésent, puisque 80 % des produits en rayon dans les supermarchés en contiennent. Sans le savoir et persuadés d’avoir une alimentation saine, nous absorbons des quantités de sucre caché dans la plupart des aliments. Ainsi, la consommation moyenne en sucre d’un Australien représente environ l’équivalent de 40 cuillerées à café (c.c.) ou morceaux de sucre par jour.

Le 23 septembre 1955, le président Dwight D. Eisenhower est victime d’un crise cardiaque. Choquée, l’Amérique se met en quête des causes des maladies cardiaques. La question sera tranchée vers la fin des années 1970 avec la désignation du gras comme responsable des maladies cardiaques. Les régimes sans matières grasses deviennent alors à la mode. Pour éliminer les graisses et garder le goût, elles sont dès lors remplacées par du sucre.

Types de sucre

Le glucoseLe lactoseLe saccharose
Issu de la transformation par la digestion d’aliments tels que le pain, les pâtes, les légumes…Contenu dans le lait et les produits laitiers.Le sucre de table qui contient à parts égales 50 % de glucose et 50 % de fructose.

Effets du sucre sur le corps humain

Chez un expérimentateur en bonne santé au départ et évitant jusque-là les produits additionnés de sucre, le foie donne déjà des signes d’altération cellulaire après 2 ou 3 semaines de consommation de 40 c.c. de sucre par jour. La présence d’alanine transaminase (ALAT) dans le sang est un marqueur qui indique que le foie stocke du gras, autrement dit de stéatose hépatique ou dégénérescence graisseuse de l’organe. En mangeant des produits enrichis en sucre, on se sent moins rassasié, car ces produits ne procurent pas la même sensation de satiété que des produits ordinaires. Au bout d’un mois de ce régime supplémenté en sucre, le poids croît en flèche et l’expérimentateur peut allègrement prendre 5 kg.

Quand on mange du saccharose, le glucose est utilisé comme énergie ou stocké dans les cellules sous l’effet de la libération d’insuline. Le fructose ne reste pas dans le sang car il ne peut être utilisé tel quel. Il arrive alors dans le foie qui le transforme en graisse. Cela va entraîner, à force, une résistance à l’insuline. La graisse fabriquée par le foie passe ensuite dans la circulation sanguine sous forme de triglycérides, responsables de la surcharge pondérale et de maladies cardiaques.

Plus il y a de glucose dans le sang, plus on libère d’insuline. À ce stade, l’insuline ne pouvant assurer les deux fonctions, stockage et libération de l’énergie, les graisses stockées dans la cellule ne peuvent plus être brûlées et s’accumulent. Les maladies chroniques liées à l’obésité et au diabète deviennent alors un sujet de préoccupation : maladies cardiaques, certains cancers, goutte, hypertension artérielle et (probablement) maladie d’Alzheimer.

Une personne qui a une consommation trop riche en sucre, ça se voit tout de suite au niveau de la peau qui a un aspect gras ou de la clarté d’esprit, la personne paraissant pas très réveillée. Les deux composants du sucre ont une activité différente au niveau du cerveau. Le fructose affecte le centre de contrôle de notre appétit, tandis que le glucose joue sur notre humeur.

Magalie Lenoir et son équipe de l’Université de Bordeaux 2 ont démontré que l’appétence pour une intense saveur sucrée était supérieure à l’appétence pour la cocaïne chez 94 % des rats testés, rendus accros à la cocaïne et préalablement sevrés (Lenoir, M. et al., 2007). Garder en tête que le sevrage de la cocaïne entraîne une dépression très douloureuse pour se faire une idée de la force de l’appétence pour le sucre.

Effet psychologique du sucre

Le sucre modifie l’humeur, donne instantanément une sensation d’être au top, d’efficacité, cependant très éphémère, puisque assez rapidement suivie d’une impression de léthargie jusqu’au prochain apport en sucre. Et là, on peut à nouveau se concentrer ou se lancer dans une activité demandant un effort physique ou intellectuel. Un autre aspect de l’absorption massive de sucre [binging en anglais] est l’euphorie intense qui, vue de l’extérieur, ressemble à de la joie. Or vu de l’intérieur, la sensation n’est pas forcément agréable, ce serait plutôt de l’agitation. Le sucre raffiné ajouté a aussi un impact très important sur le comportement des enfants et pourraient, selon certains auteurs, conduire à des symptômes comparables au trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention (TDAH), tels que hyperactivité, déficit d’attention, distraction et performances réduites en raison du déficit en dopamine qui suit l’absorption (Johnson, R. J., Gold, M. S., Johnson, D. R., et al., 2011).

Indépendamment de son absorption, le sucre est devenu symbole de fête dans l’inconscient collectif, c’est presque une banalité de le dire. Il suffit pour cela de poser la question aux parents, peut-on encore envisager un anniversaire sans Coca ? Plus que cela encore, le sucre semble être devenu le moyen le plus simple, voire obligé, pour communiquer notre amour à ceux que l’on aime. À l’inverse, le sucre est aussi le lieu où l’on peut facilement se réfugier et rechercher une consolation ou un apaisement face aux épreuves de la vie. Parce que la nourriture et le sucre ont une forte composante émotionnelle, nous devons d’abord guérir nos émotions pour retrouver le sens de l’alimentation. Qui a déjà essayé sait que réduire les quantités de sucre absorbées n’est pas facile. Pour cela, nous devons passer par une phase qui peut être perturbante, désagréable, même gênante pour réussir à décrocher (voir plus bas, chap. La récupération après le sevrage du sucre).

La science de l’aliment optimal du point de vue de l’agro-industrie

À côté de ces facteurs internes qui peuvent plus ou moins conditionner notre rapport à l’alimentation ou nos habitudes alimentaires coexistent d’autres facteurs inclus dans des stratégies commerciales qui visent directement à influencer les comportements de consommation. L’ajout de sucre raffiné dans les produits alimentaires est l’une des décisions prises par les sociétés agro-alimentaires afin d’y parvenir. Et cela concerne la plupart des aliments, pas seulement les sodas ou les aliments à saveur sucrée. Le problème, c’est que ces produits sont présentés comme des aliments sains, avec des annotations bien en évidence sur l’emballage destinées à susciter le sentiment de faire quelque chose de bon pour sa santé.

L’agro-industrie fait des efforts démesurés pour optimiser l’attrait des produits qu’ils cherchent à nous vendre. Les principes fondamentaux du goût, de ce qui suscite notre désir, de ce qui rend la nourriture attractive sont aujourd’hui bien compris. Une étude menée dans les années 1970 a permis de déterminer la quantité optimale de sucre à ajouter dans un produit donné pour qu’il soit très agréable au goût pour la majorité des consommateurs. Ce point optimal appelé apogée gustative (Bliss Point en anglais) est le point au-delà duquel les consommateurs rejettent tout simplement le produit. C’est en tous cas ce que pensait Howard Moskowitz qui dirigea cette étude. L’exploitation de l’apogée gustative à des fins commerciales a gravement nuit à une partie du fonctionnement biologique du consommateur, surtout de l’enfant. Cela a suscité une telle appétence pour le sucré que certains enfants vont jusqu’à rejeter tout aliment qui n’est pas sucré.

Avant cela, juste après avoir obtenu son titre de psychologue à Harvard, Howard Moskowitz avait aussi travaillé pour l’armée américaine qui se posait alors la question de savoir comment formuler les repas pour que les soldats absorbent suffisamment de calories. Nous avons une tendance naturelle à nous lasser des nourritures fortes en goût, ce que Moskowitz a désigné sous le concept de satiété sensorielle spécifique. À partir de là, les aliments servis aux soldats ont été formulés de sorte qu’ils soient doux au palais pour retarder la satiété gustative et ainsi leur garantir l’absorption des calories suffisantes.

Le poids économique du sucre au niveau mondial

L’industrie du sucre soutient l’idée que les problèmes de poids tiennent au bilan énergétique, arguant que le sucre comporterait moins de calories que les matières grasses. L’industrie sucrière a mis en avant que toutes les calories se valaient, alors qu’en réalité, comme nous l’avons vu, elles n’ont pas le même impact sur l’organisme et n’ont jamais eu le même rôle. Résultat : on se sent accro ou défaillant si l’on craque devant des produits sucrés. Et si l’on est en surpoids, on nous fait sentir que c’est par manque de volonté, la faute nous est rejetée dessus.

Si l’on parvenait à établir la nocivité du sucre, l’industrie du sucre se retrouverait dans la même situation que l’industrie du tabac face au cancer du poumon. Or, le sucre pesait déjà 50 milliards de dollars dans l’économie mondiale en 2014. Il y a fort à parier que son poids économique entretient un lien direct avec ce qui ressemble à une véritable omerta des instances de santé. L’affaire a commencé à être étouffée dans les années 1970 quand le gouvernement américain a commencé à s’intéresser à la nocivité du sucre pour la première fois. L’association du sucre a alors lancé une campagne pour s’assurer que leurs produits ne seraient pas discrédités dans un contexte scientifique où les preuves étaient encore discutables. Des scientifiques experts en nutrition et des attachés de presse ont alors été rémunérés pour produire des études disculpant le sucre. Et c’est ainsi que les représentants de l’industrie sucrière purent finalement publier un rapport dissipant les craintes concernant le sucre, et à vrai dire sur la base d’une manipulation délibérée des preuves.

Des statistiques alarmantes

En France, 17 % des français étaient estimés en obésité en 2020 (enquête de la Ligue contre l’obésité publiée en 2021). Aux États-Unis, où la situation de l’obésité est plus préoccupante, un seul verre de jus de fruit peut contenir jusqu’à l’équivalent de 34 c.c. de sucre. Un smoothie contient autant de sucre qu’un verre de coca, c’est-à-dire 7 c.c. Le sirop de maïs à haute teneur en fructose a été imposé par l’agro-industrie dans tous les sodas. Dans certains endroits aux États-Unis, où les sodas sont pratiquement la seule boisson disponible, des effets néfastes sont observables sur la dentition des enfants. Là-bas, l’exemple préoccupant d’une consommation de 6 canettes par jour chez des enfants de 3 ans n’y est pas rare. Et cela parce que les enfants sont un segment marketing auquel les industriels sont particulièrement attentifs.

La récupération après le sevrage du sucre

La bonne nouvelle, c’est que l’on peut arrêter de manger du sucre. Au fond qu’est-ce qui nous en empêche ? La première semaine de sevrage a été comparée à l’arrêt du tabac. Le sommeil est perturbé, cela joue sur l’humeur, on est plutôt grognon, on tourne en rond. Et pendant ce temps, une forte envie de sucre nous tenaille, parce que nous sommes en état de manque. Ces signes désagréables sont proprement ceux d’un sevrage. Une fois qu’on est sevré, au bout de 2 à 4 semaines, l’attrait pour le sucre disparaît tout à coup.

Deux mois après avoir arrêté le sucre, les personnes sevrées retrouvent toute leur énergie et clarté d’esprit, une peau éclatante et une humeur beaucoup plus stable, apaisée. Quand on supprime de notre alimentation ce perturbateur endocrinien qu’est le fructose, la régulation de l’appétit se fait de nouveau et l’on perd du poids. Le remplacement du sucre par de bonnes graisses dans une alimentation à base de produits frais permet de se sentir à nouveau rassasié sans avoir besoin de manger autant et sans modifier son budget alimentaire.

Le foie gras peut très facilement retrouver son état normal en supprimant le fructose de votre alimentation, déjà en supprimant les sodas qui incluent encore une fois du sirop de maïs à haute teneur en fructose.

Aux États-Unis, on a récemment recommandé aux hommes de ne pas dépasser 9 c.c. de sucre par jour et 6 pour les femmes.

Le bon sens veut que si l’on supprime le sucre de notre alimentation, il faille aussi éliminer les édulcorants artificiels car ils entretiennent le goût du sucre. Si nous voulons commencer à changer notre mode d’alimentation, une astuce consiste, quand nous mettons les pieds au supermarché, à filer directement aux rayons primeurs, boucherie, poissonnerie et crèmerie, sans faire de détour préalable par les autres allées. En effet, les autres rayons contiennent des aliments riches en calories et pauvres en nutriments, ce qui est tout le contraire de ce que l’on recherche. Cela peut paraître anodin, mais changer l’ordre dans lequel nous parcourons les rayons peut littéralement renverser la façon de voir que nous avons sur les aliments et changer nos habitudes alimentaires, in fine.

Références

Johnson, R. J,, Gold, M. S., Johnson, D. R., et al. (2011). Attention-deficit/hyperactivity disorder: is it time to reappraise the role of sugar consumption? Postgrad Med;123:39–49. https://doi.org/10.3810/pgm.2011.09.2458.

Lenoir, M., Serre, F., Cantin, L., Ahmed, S. H. (2007). Intense Sweetness Surpasses Cocaine Reward.
PLoS ONE 2(8): e698. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0000698.

OBEPI (enquête obésité, 2020). https://www.mdpi.com/2077-0383/12/3/925.

Sugarland (film documentaire, 2014). https://www.sciencesetavenir.fr/sante/sugarland-un-film-documentaire-pour-denoncer-les-sucres-caches_119906.

À lire dans la même rubrique…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut